l'Institut pour l'histoire de l'aluminium

menacé d'une perte de soutien par le Groupe Péchiney

brèves


  • version originale :
    Français

  • première publication :
    20 juin 2003

    (initial version)

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    Alors que s'ouvre, à la Cité des Sciences de La Villette à PARIS, une exposition majeure sur l'histoire du système technique et industriel de l'aluminium, nous apprenons le désengagement prochain du Groupe PECHINEY du soutien qu'elle apportait à l'Institut pour l'Histoire de l'Aluminium.
    Comme acteur en histoire technique et industrielle de la sidérurgie, nous ne pouvons que nous sentir concerné par l'inquiétant mouvement de retrait des acteurs industriels par rapport à la culture, et notamment des acteurs culturels qui étudient la place de leur secteur d'activité dans le développement de notre civilisation.
    C'est la solidarité culturelle, ciment, en dernier ressort, des civilisations humaines, qui nous motiveà relayer l'appel lancé le 16 juin par le Comité Scientifique de l'IHA.

     

     
    Déclaration du Comité scientifique de l'Institut pour l'histoire de l'aluminium
     

    Paris, le 16 juin 2003

    Les membres du Comité scientifique de l'IHA ont été informés, lors de la dernière séance de son Conseil d'administration, de la décision de Pechiney de mettre fin au financement de l'association à la fin 2003. Il est de notre responsabilité, quelles que soient les raisons financières invoquées pour justifier cette décision, de souligner ses conséquences prévisibles pour la communauté scientifique et, d'une manière générale, pour la compréhension des grands phénomènes économiques et sociaux du XXe siècle.

     
    Le bilan de l'IHA
     

    Le bilan de 17 années d'activité de l'IHA est considérable, dans trois domaines en particulier.

    Le premier est la préservation et la mise en valeur du patrimoine. L'IHA a dès sa création intégré cette dimension à son action, ce qui lui vaut aujourd'hui non seulement de disposer d'importantes collections archivistiques et documentaires (papiers personnels, fonds iconographiques, objets anciens, archives d'entreprises.), cas unique dans le secteur de l'aluminium, mais aussi d'être reconnu comme un partenaire solide par les entreprises et les institutions culturelles. Grâce à lui et aux missions de conseil qu'il a conduites, d'importants fonds d'archives ont été sauvés et ouverts aux chercheurs. La réorganisation en cours de la gestion de ses collections, sa contribution à la valorisation d'une collection d'objets en aluminium unique au monde, ses partenariats avec différentes institutions muséales en ont fait une structure pionnière dans la réflexion sur le patrimoine.

    Le deuxième domaine est celui de la recherche. L'IHA a su réunir, en toute indépendance, dans un même effort, les salariés d'entreprises du secteur et leurs retraités ; il a su faire appel à des universitaires de divers horizons (historiens, économistes, gestionnaires, sociologues, géographes.) en vue de promouvoir des recherches tant en France que dans le monde. Les sources de Pechiney ont été largement mises à contribution et confrontées à celles d'autres firmes comme aux archives publiques, formant le substrat d' une histoire des entreprises aux multiples ramifications. Mais au-delà, ce sont à la fois un matériau et l'ensemble d'un secteur industriel qui constituent son terrain d'investigation. Ces enquêtes, fondées d'une part sur la collecte de témoignages et de mémoires d'anciens de l'industrie et d'autre part sur des travaux scientifiques de haut niveau (maîtrises, DEA, thèses de doctorat d'étudiants, boursiers ou non de l'IHA), sont complétées régulièrement par des rencontres et colloques, souvent d'ampleur internationale.

    Tous ces efforts ont fondé la réussite de l'IHA dans un dernier domaine : le rayonnement de ces travaux, tant dans le monde industriel que dans celui de la recherche académique, voire auprès du grand public. Tout récemment, l'ouverture d'une grande exposition sur l'aluminium à la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette en même temps que la sortie d'un livre grand public sur le matériau en portent témoignage. Ils sont l'aboutissement d'une démarche de longue durée, inaugurée avec les Cahiers d'histoire de l'aluminium dont les 30 numéros parus offrent un échantillon d'une grande richesse à qui veut se rendre compte du travail accompli par une toute petite équipe forte de nombreuses collaborations bénévoles. Au cours des ans, une collection d'ouvrages, publiés chez divers éditeurs, a consolidé cet édifice, constituant une bibliothèque de premier ordre pour l'histoire économique et technique du secteur. L'entreprise a largement bénéficié des retombées de ces travaux, l'Institut s'impliquant régulièrement dans des recherches spécifiques, des projets de formation, des opérations de communication interne ou externe. Mais au-delà, ce corpus a fait entrer l'histoire de l'aluminium dans le champ de l'histoire générale et des sciences de gestion, contribuant à mieux faire connaître ses entreprises et leurs logiques techniques, économiques, gestionnaires, sans oublier leur histoire sociale et syndicale. Longtemps méconnu, le monde de l'aluminium est aujourd'hui devenu objet d'étude dans les universités en France et dans le monde.

     
    Une dynamique cassée
     

    C'est cette dynamique que compromet la décision récente de Pechiney, principal soutien financier de l'IHA. Elle laisserait inachevée la mise en ouvre d'un programme de recherche prometteur, et fait courir le risque que disparaissent de larges pans du capital de savoir et de savoir-faire accumulé au cours des ans, tant par les bénévoles que par l'équipe permanente de l'association. Avec courage et obstination, l'IHA a su se garder de rechercher des résultats rapides et superficiels pour engager une ouvre de longue haleine, patiemment construite, chaque année apportant sa moisson de travaux d'anciens professionnels ou d'universitaires. Cette ouvre est loin d'être achevée : de nombreux travaux n'ont pas encore été publiés et bien des aspects de l'histoire de l'aluminium restent à étudier. Mais, faute d'une structure d'accueil et de soutien des chercheurs, c'est vers d'autres horizons que nous risquons, demain, de devoir orienter nos étudiants. Quant aux liens féconds entre universitaires et professionnels, qui ont permis une approche originale des questions techniques et économiques, ils risquent tout bonnement de passer par pertes et profits. Car l'ouvre de l'IHA est aussi en péril : s'il ne fait pas de doute que la direction de l'association mettra tout en ouvre pour s'assurer du sort de ses collections d'archives, de documentation et de travaux, rien ne garantit que cet ensemble puisse continuer à féconder de nouvelles recherches. Il faut pour cela le travail d'une équipe, maîtrisant les outils de gestion, ouvrant à la valorisation des connaissances par des rencontres entre chercheurs, des publications de qualité, des projets au rayonnement local ou national.

     
    Des enjeux de société
     

    C'est ce bel outil qui est aujourd'hui menacé de disparaître. Dans ce contexte, l'IHA peut compter sur notre soutien pour mettre en ouvre, s'il le fallait, les mesures conservatoires indispensables que requièrent ses collections, mais aussi pour rappeler à Pechiney l'importance, pour l'entreprise elle-même comme pour le public, de ce type de recherches, comme d'une politique d'archives qui fasse sa part au patrimoine et garantisse leur accès aux chercheurs engagés dans des travaux ou qui souhaiteraient s'y investir. Mais nous refusons de considérer comme acquise la fin de l'IHA. Aussi lançons-nous un appel à Pechiney pour qu'il reconsidère une décision que nous espérons réversible : la longue tradition d'aide à la recherche qui a forgé son image d'ouverture et de transparence ne peut avoir subitement perdu ses fondements. La disparition de l'Institut nous attristerait et nous inquièterait. Elle marquerait une rupture d'autant moins compréhensible que Pechiney appartient au petit cercle des entreprises attentives aux efforts de notre société pour promouvoir un modèle de développement marqué par la " durabilité " et l'intérêt général. Une certaine idée des relations entre l'entreprise et son environnement est l'enjeu de ce débat qui dépasse la seule pérennité de l'IHA.

    Henri MORSEL, professeur émérite à l'Université de Lyon III, président du Comité scientifique de l'IHA
    Dominique BARJOT, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Paris IV- Paris-Sorbonne
    Patrick FRIDENSON, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
    Yannick LEMARCHAND, professeur de gestion à l'Université de Nantes
    Philippe MIOCHE, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Provence

  • lien vers le site de l'IHA

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