première partie : Histoire d'un Bassin Charbonnier

Lorraine du Charbon

espace minier

Chip BUCHHEIT
photographies : Olivier BISANTI

09 juillet 2001

 

problèmes avec votre navigateur pour lire la page ? cliquez ici.

     

Les deux articles de Chip BUCHHEIT sur le bassin houiller lorrain sont la transcription de la notice qu'elle a rédigée à l'occasion de la visite du CILAC les 16 et 17 juin 2001 - ce qui en explique le style quelque peu télégraphique.

   
 

 

Molettes de la "tour-marteau" du puits de FOLSCHVILLER >

 

le gisement

Le gisement lorrain se situe dans le prolongement du gisement sarrois. L'ensemble constitue une seule entité géologique orientée nord-est / sud-ouest dont la partie sud-ouest s'enfonce progressivement sous les morts-terrains.

- A la différence du charbon sarrois, exploité depuis le début du XVe siècle par "grattage" (ou "jardinage") des affleurements, puis par fendues, le charbon lorrain n'est accessible que par puits verticaux .

- Les campagnes de recherche côté français n'ont réellement débuté qu'après 1815, date à laquelle le second Traité de Paris modifie le tracé de la frontière, privant la France des mines sarroises qu'elle administrait depuis 1798. Ceci explique que de si nombreux puits lorrains se trouvent accolés à la frontière, au plus près du gisement sarrois reconnu.

- La traversée des morts-terrains, très aquifères, a toujours posé d'importantes difficultés qui se sont traduites par des venues d'eau incontrôlées, des ruptures de cuvelages, des puits noyés et des abandons de puits.

bassins miniers lorrains : fer et charbon., cliquez pour agrandir

- Sur un total de 55 puits creusés en Moselle, une douzaine ont dû être abandonnés avant même d'être entrés en phase d'exploitation (plus de 1 sur 5).

 

1817-1836: les espoirs déçus du puits de Schoeneck

Puits foncé à partir de 1817, entré en phase d'exploitation en 1825. A la même époque, 51 mines sont exploitées en Sarre (1810)

- Extraction pénible de charbon en 1829, mais des venues d'eau incontrôlées provoquent son abandon (1836).

- Le minuscule puits de Schoeneck n'a jamais compté plus d'une centaine d'ouvriers. La main d'oeuvre qualifiée provenait essentiellement de la Sarre toute proche.

 

1849-1870: années de stabilisation des exploitations

Plusieurs concessions ont été progressivement attribuées au cours des années 1849-1870, mais 3 seulement connaissent de vraies tentatives d'exploitation :

- dans le secteur Est (Stiring-Wendel et Petite-Rosselle, à partir de 1849),

- dans le secteur Centre délimité par le triangle Carling/l'Hôpital/ Merlebach (à partir de 1852),

- dans le secteur Ouest (autour de Creutzwald à partir de 1895),

- Deux compagnies aboutissent, non sans beaucoup de difficultés, à une exploitation régulière au cours de cette époque.

- les mines du secteur Est dont la famille de Wendel est propriétaire (le puits Saint-Charles commence à extraire de la houille en 1856, avec 308 ouvriers)

- les mines de Carling et de l'Hôpital (puits Saint-Max en 1861 et Puits II de l'Hôpital en 1867)

- A la veille de la guerre de 1870, cinq puits sont en exploitation. Ils occupent environ 2.200 ouvriers et produisent moins de 250.000 tonnes de houille. En Sarre, à la même date, la production est alors de 3,5 millions de tonnes avec 19.200 ouvriers.

- L'insuffisance du recrutement local oblige les exploitants à faire de plus en plus souvent appel à une main d'oeuvre étrangère au pays (mineurs du Nord de la France et toujours plus de mineurs sarrois).

 

1871-1918 : Le premier grand essor des Houillères

- En 1871, l'Allemagne annexe l'Alsace et la Moselle (Iraité de Francfort). 10 % des habitants de la Moselle quittent alors la nouvelle Présidence de Lorraine, mais un grand nombre d'Allemands viennent s'y installer.

- Les deux compagnies en activité se développent et une troisième entre en activité à la fin du siècle (la Société des mines de La Houve, en 1895)

- Entre 1890 et 1910, tous les gros équipements sont modernisés et les houillères se préoccupent de fournir à leur clientèle un charbon moins sale. Aux marges des carreaux de mine apparaissent les premiers criblages-lavoirs.

- Cette importante phase de modernisation s'explique par l'arrivée de nouveaux propriétaires à la tête de deux des trois compagnies Iorraines :

- en 1889, les houillères de La Houve (Creutzwald) sont rachetées par un groupement composé à majorité d'Alsaciens.

- en 1900, les avoirs de la Société houillère de la Moselle (Freyming/Carling/L'Hôpital) sont repris par un groupement d'industriels allemands (groupement contrôlé par Stinnes et Thyssen).

Les houillères de Petite-Rosselle restent exploitées par la Maison de Wendel.

 

1918-1939 : Les débuts de l'exploitation sous la Sarre

coupe d'est en ouest du gisement sarro-lorrain (source : HBL), cliquez pour agrandir

L'Alsace et la Moselle redeviennent françaises. Les mines possédées par des Allemands sont séquestrées. Les puits du secteur Sarre-et-Moselle sont attribués aux propriétaires des mines du Nord de la France qui ont été sinistrées pendant la guerre. Dans le même temps, les mines sarroises sont attribuées à la France (création des Mines domaniales de la Sarre en 1920).

- Les houillères lorraines renouvellent leur personnel (après le départ des cadres et des ouvriers et poursuivent leur développement, notamment en intensifiant la mécanisation des chantiers du fond et en adoptant de nouvelles méthodes de travail. La compagnie Sarre-et-Moselle se distingue : elle est la première en France à appliquer l'Organisation Scientifique du Travail directement inspirée du taylorisme.

- En 1924 et 1927, deux compagnies obtiennent d'exploiter le gisement du Warndt (en Sarre). Ces nouveaux gisements situés dans les amodiations de Karlsbrunn et de GroB-Rosseln donneront lieu à une exploitation intensive. En 1932, les 4/5èmes de la production de Sarre-et-Moselle proviennent du gisement de Karlsbrum (soit 2 millions,de tonnes).

- Après 1933 et l'annonce d'un plébiscite en Sarre, cette exploitation est encore intensifiée ; ainsi, toute l'exploitation du puits Saint-Charles (Petite-Rosselle) provient du gisement de GroB-Rosseln en 1934.

- Après le Plébiscite qui rend la Sarre à l'Allemagne (1935), les exploitants lorrains parviennent -non sans mal- à renouveler les amodiations, mais pour 5 ans seulement et à la condition expresse d'embaucher des mineurs allemands.

- La crise écononomique des années Trente a d'importants effets en matière d'emploî (chômage partiel, licenciements) et d'investissement (gel de toutes les dépenses improductives); elle se traduit aussi par une accélération des processus de concentration et de mécanisation des exploitations.

 

1939-1945:

Les houillères lorraines sont occupées par les troupes allemandes et administrées par le IIIème Reich

 

1946-1960: Les grands chantiers de l'après-guerre

En 1946, toutes les houillères françaaises sont nationalisées ; en Lorraine, création des H.B.L.. Leur organisation conserve aux 3 nouveaux Groupes constitués l'emprise des 3 anciennes compagnies.

- Les deux premières années de l'après-guerre sont consacrées au dénoyage des puits et à la reconstruction ; puis viennent les années d'intense modernisation et de concentration des exploitations; celles-ci s'effectuent désormais dans le cadre d'une évolution planifiée. Plusieurs "Vieux puits" sont arrêtés tandis que sont créés de nouveaux "puits concentrés" (Wendel 3, puits Freyming ... ). L'industrie charbonnière se développe également (chimie de synthèse et fabrication de coke sidérurgique)

- L'organisation des exploitations tient compte de la reconduction des amodiations sous la Sarre; leur remise en question, en 1956, lors du Règlement de la Question sarroise, obligera l'exploitant à rechercher de nouveaux gisements "de substitution" et à réorganiser l'ensemble des exploitations.

- Au fond, la modernisation s'appuie sur l'électrification des chantiers (matériels antidéflagrants) et sur la "sélection du gisement" (abandon des chantiers non-mécanisables).

- A la veille de la crise charbonnière, le nombre de sièges lorrains est passé de 11 à 7. La production dépasse 15 millions de tonnes en 1959 (avec un effectif de près de 41.000 personnes). La Sarre a connu les mêmes bouleversements mais l'écart entre les deux régions s'est singulièrement réduit (production des mines sarroises en 1959 : 16,1 millions de tonnes).

 

1960-2000: le repli des activités

L'impressionnant essor de l'après-guerre n'a pas longtemps masqué la récession du marché charbonnier. Pour faire face au développement des énergies concurrentes, les HBL réorganisent leurs services (centralisés à Merlebach), compriment les dépenses et les effectifs (- 7.270 salariés entre 1968 et 1973), et procèdent à la fermeture de plusieurs puits : Saint-Charles, Saint-Joseph, Vuillemin et Gargan (secteur de Forbach-Petite-Rosselle); puits V et Sainte-Fontaine (Freyming-Merlebach) ; siège 1 de La Houve (Creutzwald)

- Survient "l'enbellie" des années 1970 (crise pétrolière) qui interrompt le programme des fermetures et fait même, cas unique en France, remettre en exploitation le puits de Sainte-Fontaine en 1976 (le puits sera fermé définitivement en 1986).

- Le repli donne aussi lieu à d'importantes démolitions et aux premières réoccupations d'installations industrielles, par les HBL même ou, après cession de terrains, par des entreprises privées. La logique adoptée est celle d'un désengagement progressif mais complet des HBL.

Cette logique se heurte pourtant, depuis la fin des années 1980, à l'émergence d'une nouvelle logique, de caractère " patrimonial'. Deux campagnes intéressant le patrimoine industriel minier sont effectuées entre 1990 et 1998, qui aboutissent à la protection de 3 sites et de 4 éléments isolés :

sites protégés :
- les vestiges du puits Vuillemin (représentatif de la fin du 19' siècle)
- carreau initial du puits Simon 1 et 2 (représentatif du début du 20' siècle)
- unité d'exploitation Wendel 3 (représentatif des années 1950).

éléments isolés protégés :
- chevalement-tour Sainte-Marthe (1852, Stiring-Wendel)
- chevalement en béton armé du puits Cuvelette Sud (1930, Freyming-Merlebach)
- chevalement double extraction du puits Sainte-Fontaine (1947/48, Saint-Avold)
- tour d'extraction du puits de Folschviller 1 (1948/50, Folschviller)

Nous verrons plus en détail tous ces sites dans la deuxième partie de cet article.

Chip BUCHHEIT est historienne. Elle est co-auteur, entre autres, d'un ouvrage consacré à "Sainte-Barbe, patronne des mineurs" (VO Editions, 1997). Elle contribue régulièrement aux Cahiers d'Histoire Sociale Minière.

 

un avis, remarques, réactions, précisions sur cet article ? cliquez ici

© Soleils d'Acier ; reproduction interdite sans accord écrit. Images : droits réservés.